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Retour d’expérience du séminaire du Deep Democracy Institute à Grenade

Article rédigé par Nathalie Poirier et Caris Kindler-Mathieu

Grenade, octobre 2024. Au pied des majestueuses montagnes de la Sierra Nevada, l’Hôtel Abades Nevada a accueilli une semaine intense de réflexion, de partage et de transformation : le séminaire « All of Us in All of This Together », organisé par le Deep Democracy Institute (DDI). Un rendez-vous où près de 140 participants venus des quatre coins du globe se sont retrouvés pour explorer les subtilités de la Démocratie Profonde et de la Psychologie Orientée Processus.

Un cadre propice à l’introspection collective

Sous la direction d’Ellen et Max Schupbach, fondateurs du DDI, et en collaboration avec des facilitateurs expérimentés comme Ana Pujol et les facilitateurs diplômés de l’Instituto de Trabajo de Proceso de Barcelone, soutenu par d’autres organisations espagnoles spécialisées en Processwork, l’événement s’est déroulé selon une structure rigoureuse. Chaque journée s’articulait autour de sessions en grands groupes mêlant témoignages et illustrations des concepts et processus de groupe, accompagnés parfois d’exercice de travail intérieur guidés, de réunions en plus petits groupes d’une vingtaine de personnes consacrées aux exercices en binômes ou à des processus de groupe en fonction du choix des participants qui s’autogéraient. Un point à souligner, cette année Max et Ellen et leur équipe de diplômés avaient décidé de donner une couleur plus pratique que pédagogique à l’intensif, qu’ils ont d’ailleurs baptisé Worldwork Clinic.

Une tradition née des marges

Les origines de ces rencontres remontent à 1991, sur la côte de l’Oregon, lorsque Arnold et Amy Mindell et un petit groupe de pionniers ont donné naissance au Worldwork. À l’époque, l’objectif était de faire émerger dans les espaces publics ce qui restait marginalisé dans les structures sociales dominantes : souffrances, colères, discriminations. Cette approche, révolutionnaire, ne cherchait pas à « réparer » les individus, mais à leur offrir une plateforme collective où leurs expériences et émotions pouvaient être pleinement exprimées. Plus de trois décennies plus tard, cette méthode continue d’évoluer pour répondre à des enjeux toujours plus complexes : colonialisme, guerre, santé mentale, ou encore la montée des extrémismes, sans parler des enjeux de facilitation.  Actuellement, parmi les sujets de réflexions des pionniers figurent « l’évolution du rôle de l’activiste pour éviter plus de polarisation,  la difficulté de s’engager dans des conversations difficiles tout en respectant les sensibilités aiguë lié au concept de sécurité ».

Moments marquants et apprentissages profonds

Pour Caris, l’évolution des séminaires hybrides, combinant présentiel et participation en ligne, est un élément frappant. « C’est un défi de maintenir une dynamique entre deux types de groupes si différents, mais les facilitateurs l’ont fait avec une maîtrise impressionnante. Leur capacité à inclure chaque voix et à prendre des décisions rapides est remarquable. Ce qui m’a particulièrement marquée, c’est l’idée d’ouvrir un espace pour les voix silencieuses, et l’importance de revenir constamment vers le groupe pour recueillir l’autorisation de faciliter ou le consulter sur le choix du sujet ou encore lui demander : « Est-ce le bon moment pour clore la discussion les amis ? » ».

Nathalie précise : « J’ai particulièrement aimé lorsque Max a souligné l’importance de ne pas chercher à avoir trop d’informations sur les sujets proposés avant de le choisir car il faut permettre aux autres personnes de « rêver le sujet », la diversité est plus précieuse que la compréhension (sic). »

Les thématiques abordées étaient à la hauteur des attentes : des discussions vibrantes sur les conflits internationaux aux réflexions sur le pouvoir personnel et la libération psychologique, chaque échange a laissé une empreinte profonde, confie Nathalie. « J’ai été particulièrement marquée par le processus de groupe sur le thème « Peut-on exprimer la violence et les sentiments négatifs dans un grand groupe ? ». Tandis que le processus démarrait autour de quelques rôles qui s’exprimaient de façon contenue, quelques participants ont commencé à s’agiter au fonds de la salle, certain.es facilitateurices espagnol.es ont déplacé les chaises pour leur laisser un espace plus sûr et des cris se sont fait entendre, des mouvements forts aussi … La violence voulait s’exprimer. Max a interrompu l’interaction qui avait commencé sur le devant de la salle et a demandé aux personnes au fond de s’approcher, de venir exprimer cette violence dans le groupe. Il leur a dit :  » Soit vous partagez ce que vous êtes en train de vivre et vous contribuez à processer ce sujet, soit vous restez là-bas et vous détruisez ce qu’on essaye de faire ensemble et vous faites même éclater notre communauté, c’est à vous de voir ». Une jeune femme s’est alors rapprochée du groupe en hurlant et en faisant des gestes violents. Tout le groupe était suspendu, puis petit à petit d’autres participants ont scandé ses paroles et imité ses gestes en se synchronisant à elle jusqu’à ce que tout le groupe suive puis tout le monde a ralenti. Une participante Thaïe a alors pris la parole pour dire à quel point elle était tétanisée par cette violence. « Moi, je n’ai pas le droit d’exprimer ma violence, ce que tu as fait me fait extrêmement peur. Chez nous, c’est impossible, c’est un comportement intolérable, c’est très mal poli !! ». La jeune femme l’a alors invitée à s’approcher et à bouger en rythme et ce faisant les deux femmes ont commencé à entreprendre une danse ensemble, en riant et en se libérant. J’ai été abasourdie et fascinée de partager cette expérience. »  Nathalie ajoute : « Ce que j’emporte surtout, c’est l’importance de créer des espaces pour une écoute active, où chacun peut dépasser ses préjugés et se connecter à l’humanité de l’autre. »

D’une manière générale, le Processwork évite de définir trop de règles et cette année plus que jamais puisque, par exemple, il était possible de changer de groupe selon ses envies. Dans chacun des sous-groupes, au moins deux facilitateurs confirmés étaient présents mais n’avaient pas de responsabilité particulière en tant que leader ou facilitateurs du groupe. « Pour moi, dit Nathalie, il a été très intéressant d’observer l’état d’insécurité que cela provoquait au début et de voir comment le rôle de leader circulait, créant des Hotspots permettant d’approfondir notre compréhension mutuelle. J’ai été épatée de voir comment, à la fin, le groupe s’était autorégulé et la façon dont le dernier jour la confiance et l’ouverture a pu s’exprimer, chacun et chacune proposant un geste repris par les autres »

Le vendredi soir un forum ouvert public a été organisé en soirée sur le sujet de l’immigration. Après l’introduction du sujet par un représentant local chargé de l’accueil des migrants, et facilitées par 3 étudiantes DDI (dont Patricia, jeune Kenyane qui avait enfin reçu son visa pour nous rejoindre), les prises de parole se sont succédées pendant environ 1 h30. Pour Caris et Nathalie, cette soirée a été marquée par deux moments forts :

  • Un échange vif entre deux participants, une jeune activiste trans reprochant à un processworker plus âgé de ne pas suffisamment se battre pour changer le monde et défendant la nécessité d’agir avec violence pour que quelque chose se passe, se disant prête à réunir d’autres personnes autour d’elle pour passer à l’action. Max a souligné son courage et rappelé que le grand rêve du Processwork était d’intégrer toutes les dimensions de la vie.
  • Tandis qu’un participant Ukrainien remerciait l’Espagne de l’avoir accueilli avec générosité, lui et sa famille, une femme noire s’est levée pour dire : « C’est formidable en effet ce que tu as vécu, mais je dois oser le dire, c’est parce que tu es blanc ! ». Une Espagnole, s’est alors dressée pour répondre : « C’est vrai, il y a les expatriés et les migrants, la différence c’est la couleur de leur peau et les seconds sont beaucoup moins bien traités » et elle a ajouté avec beaucoup d’émotion : « Je suis désolée, je veux m’excuser auprès de vous tous car je vis dans un pays raciste, les espagnols sont racistes ». L’assistance a été très touchée par cette déclaration et l’atmosphère a changé.

Le samedi soir, la traditionnelle fête de clôture, nous a permis de nous dire au revoir dans la joie. Nous avons pu partager nourriture et boisson, chacun.e ayant à cœur de partager avec toutes et tous des musiques et des danses de son pays, donnant lieu à des grands moments de rire et de mouvement.

Pour Caris et Nathalie, participer à cet intensif a été bien plus qu’un simple séminaire. « Une telle diversité humaine, dans un cadre où chaque voix a une place, est un véritable microcosme de ce que pourrait être un monde plus juste et inclusif », partage Nathalie avec émotion. Caris ajoute : « Ce que j’ai ressenti au niveau de l’essence, c’est Le sentiment que je fais partie d’un réseau d’amour et de lumière et que la vie compte avant tout. L’amour est un mouvement de relation. »

Une responsabilité partagée

En quittant Grenade, Caris et Nathalie se sentent investies d’une mission. « Participer à ce type d’événement est un privilège. Mais c’est aussi une responsabilité : celle de tenter de transmettre ces apprentissages dans nos communautés, nos familles et nos environnements professionnels », conclut Caris.

Ce séminaire n’était pas seulement une exploration intellectuelle, mais un appel à l’action, pour construire des ponts là où les clivages dominent. Comme l’a si bien résumé un participant lors du processus de groupe final : « Nous sommes tous ensemble dans tout cela. » Une phrase simple, mais qui résonne comme un mantra à l’heure où le monde a besoin, plus que jamais, d’inclusion et de compréhension.

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